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Commentaires

  1. A l'orée de l'été 2018, sur les chemins qui bordent les champs du Centre-Alsace, quand les orages laissent un peu de place au soleil, les occasions de multiplier les prises de vue se saisissent au vol.
    Postés entre les paysages des montagnes anciennes couronnées de châteaux et la plaine humide, nous voilà focalisés, au sol, sur un détail à la portée pourtant universelle.

    Une fois encore, notre imagicienne ouvre à nos esprits des perspectives propres à enrichir nos réflexions sur l'avenir de notre environnement, préoccupation majeure de l'artiste. La beauté, qu’elle cherche et débusque en tous lieux, nécessite aussi qu’on la préserve.

    Nous voici face à de la terre que l'on dirait stérile, couleur de cendre et de sable, où semblent lutter pour survivre quelques plantules qui peinent à sortir de l'ombre.
    Au centre, traversant le tableau comme un bras de rivière, une flaque d'eau boueuse devient le miroir de ce paradis tant dépeint à travers les âges, aussi bien par les textes sacrés que par les maîtres : les verts pâturages, l’orge et le blé, les fleurs…
    Ce reflet de paysage moiré de la lueur dorée du soleil, comme un filigrane, joue avec nos sens, évoquant tantôt un monde caché, tantôt un souvenir embrumé.
    L'eau, source de vie, devient le support de l'image d'une réalité qu'elle contribue à créer.
    Mais cette réplique, ici si vaporeuse, dit bien la fragilité de l'alchimie qui l'a formée.
    Qu'on y jette un caillou, vauriens que nous sommes et c'est la boue, qu'on devine sous l'ombre au bord de la flaque, qui supplantera la beauté du ciel bleu moutonnant, qui sert d'écrin à l'abondante nature.
    Ainsi la matière qui produit une telle esthétique recèle ses propres germes de destruction.
    Si l’on n’y prend pas garde, cette délicate harmonie ne sera plus qu’un souvenir fugace, qui s’évaporera aussi vite qu’une flaque d’orage sur les chemins de nos campagnes empoisonnées.
    Ne restera plus que la poussière, funeste prédiction d’une terre minérale recouverte des cendres d’une humanité auto sacrifiée.

    Le choix du flou relève du domaine de l’évocation du champ des possibles, prédiction ou simple menace, il embusque un avertissement, une réalité potentiellement peu amène.
    Le miroitement de l’eau possède par ailleurs son propre brouillage, offrant au sujet reflété la légèreté d’une idée sans lui ôter sa précision. Aspiration ou souvenir d’un avenir déchu, là encore l’alternative est proposée.
    Si les scintillements renforcent la minéralité du décor, l’atténuation des couleurs donne à contempler une de ces peintures murales que le temps n’a pas encore réussi à effacer des parois d’une chapelle ou d’un temple Payen. La subtilité graphique en est un puissant moteur de réflexion.
    Le talent de Delphine permet au ciel de préserver son rôle d’horizon. Il borde et prolonge autant le désert que l’abondance ce qui participe de l’ambivalence du sens de lecture, ingrédient habituel du travail de la photographe.
    Ce reflet donne à notre regard les éléments simples d’une équation compliquée, plongeant, comme souvent, le spectateur à une profondeur de réflexion étourdissante.

    Chaque saison trouve des lettres de noblesses à travers l’objectif de Delphine, que ce soit par des tableaux offerts par la nature elle-même ou par des compositions choisies. Le spectacle renouvelé est saisi dans sa majesté comme dans ses drames.
    Encore faut-il que cette perpétuation soit assurée et que les images qu’elle choisit de partager avec nous ne deviennent pas de tristes reflets nostalgiques de temps révolus.
    Un lien avec ses séries d’urbex (à voir sur ce blog) peut alors se tisser, tant elles expriment avec brio la temporalité des œuvres humaines.
    En toute objectivité…

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